Journal / actus

Il n’est plus l’heure

26 mars 2020

Il n’est plus l’heure pour l’insipide, les courbettes, les consensus polis. Il n’est plus l’heure pour le romantisme du temps libre et pour le narcissisme. Il nous faut écouter, mettre en puissance le râle d’un monde qui tente de s’extraire du maintien d’une paix travestie et intéressée. Le temps se ralentit mais les pensées s’accélèrent pour celles et ceux qui sont assigné.e.s à résidence. La colère monte et devient à son tour désir profond de révolte. « L’arc se tord, le bois crie. Au sommet de la plus haute tension va jaillir l’élan d’une droite flèche, du trait le plus dur et le plus libre. » [1]

En ce moment même, alors que des corps s’acharnent, se décharnent, s’arrachent pour garder un souffle de vie ou de dignité, une fureur silencieuse progresse et déstabilise nos illusions sécuritaires. Soudain, nous redécouvrons nos fragilités et nos angoisses de mort. Et nous sommes sidéré.e.s par cette tension vieille comme le Monde qui existe entre les réflexes individuels de survie et la nécessité de la solidarité.

Et nous nous prêtons à imaginer un basculement de nos sociétés humaines laissant de côté le goût de la compétition, des dominations et du profit financier en faveur de l’émergence de nouveaux systèmes d’entraide à l’image de ceux qui apparaissent ces derniers jours : des logements pour celles et ceux qui n’en ont pas, de quoi manger pour tou.te.s, des services rendus entre citoyen.ne.s, des œuvres libres d’accès, des salaires garantis etc. Bien-sûr, cette situation nous révèle encore davantage les inégalités présentes et non tenables. Nous poussons alors le bouchon en posant là un choix radical auquel nous devrons probablement répondre collectivement dans un futur proche : « Sauver l’économie capitaliste ou sauver la planète ? » [2]

Ne nous laissons pas culpabiliser. Ne nous laissons pas continuer comme avant. Ne nous laissons pas redevenir silencieux. Ne nous laissons plus gouverner contre nous-mêmes.

Lionel Jaffrès

[1] L’Homme révolté (1951) de Albert Camus
[2] Texte de Benoît Borritz - Blog de médiapart : ici