« Je sais où sont rangées mes affaires chez moi. Les tasses au-dessus de l’évier, les produits ménagers en-dessous, les couverts dans le tiroir du haut, à droite de ma gazinière. Je pourrais tout détailler. Jusqu’au jour où quelqu’un débarque dans ma vie, quelqu’un en qui j’ai suffisamment confiance pour lui confier les clefs de mon nid. Et très vite, les choses sont déplacées, les tasses parmi les verres, le tire-bouchon dans le pot en terre et plus avec l’ouvre-boîte. Agacement, celui de ne plus rien retrouver. Trépignement, celui de perdre du temps. En cherchant, je mets la main sur ce que je ne touchais pas ou plus. Je déplace à mon tour pour saisir le caché. Ce n’est plus figé. Je redécouvre mon intérieur. Je porte les yeux sur des endroits que je délaissais. Grâce à ce chaos, je passe du temps, je regarde à nouveau. Je savais me repérer chez moi les yeux fermés. La belle jambe. Je les veux ouverts. Et curieux. Sans même m’en rendre compte, insidieusement, je ne regardais plus que le chemin coutumier. A n’y prendre garde, on a tôt fait de fermer les yeux et d’avancer en chevaux de trait. Chez soi, dans la ville, au théâtre. Partout on a tôt fait de s’installer. C’est chaud les nids douillets. Fi de la ronron thérapie, cette saison encore, se déplacer, se perdre, aller vers l’inconfort et le déséquilibre en considérant, même si ça fait peur, que c’est une chance, une opportunité d’être en vie, d’être avec. Maintenant, encore, prendre le risque de voler. »

Morgane Le Rest, le 5/09/2016