Journal / actus

Sommes-nous des ours blancs ?

6 juillet 2018

Les modifications de certains courants océaniques, les changements de température, l’augmentation du pH, la colonisation par les micro plastiques, les dérèglements biologiques. Nous savons tous intimement que, collectivement, nous produisons des conséquences fâcheuses. D’ici, sur le Marion Dufresne au large de Taïwan, alors que des équipes scientifiques contribuent à la connaissance de ces conséquences souvent d’origines anthropiques, je ressens un double sentiment. Paradoxe d’être dans un autre ici, loin de mon endroit habituel, prenant la mesure des distances. Sentiment d’être chanceux d’abord. Chanceux et privilégié de pouvoir vivre une expérience singulière que ne peuvent vivre qu’un tout petit nombre. Et chanceux de pouvoir vivre cette ouverture, de pouvoir pousser les frontières de nos connaissances, vers des échelles que nous avons du mal à appréhender, et donc de nos imaginaires. Et d’un autre côté, la conscience froide et terrible d’être minuscule au milieu de l’océan. Terrible sentiment d’impuissance face à la masse des choses et s’accompagnant de ce rappel de notre finitude inéluctable.
Et peut-être qu’il s’agit bien de ça. Que les dégâts que nous engendrons pourraient naître du déni, de l’oubli que nous ne sommes que de passage. Peut-être que nous oublions un présent, le même présent que celui des choses du Monde, celui de ce que nous appelons Nature. Comme si la Nature était extérieure à nous, humains, Culture. Nous vivons tou-te-s une impression d’accélération dans nos vies, pris-e-s dans nos urgences de survie au sein d’un système économique dont les règles sont la croissance, la mise en concurrence et l’infinie exploitation des ressources, qui ne le sont pas, infinies.

Alors que faire ? Comment peuvent agir les sociétés humaines ? L’exploitation déraisonnable relève-t-elle du plus grand nombre ou d’intérêts minoritaires ?
Certaines de nos pratiques sont reléguées sous l’appellation vacances ou activités de loisirs, c’est-à-dire en dehors de nos activités professionnelles salariées, quand on peut y avoir accès : marcher longuement, naviguer à la voile, pêcher à la ligne, dessiner, bricoler, lire, vivre des relations authentiques, regarder un paysage… Mais pour une véritable inflexion, serait-ce suffisant que nous soyons une poignée à ne faire que changer nos modes de vie ? Il reste peu, pas assez de place, ou trop peu de temps pris pour l’élaboration collective, le processus nécessaire au politique dans sa pratique noble, à l’exercice des résistances, des rapports de force nécessaires à l’équilibre du Monde. Il semble que nous soyons un certain nombre à être critiques, lucides vis-à-vis de ce qui s’avère destructeur et délétère pour les équilibres environnementaux, et donc pour les équilibres sociaux et sociétaux. Mesurer les causes. Agir sur les causes. Mesurer les conséquences. Agir sur les conséquences. Faisons un point vite et passons à l‘action.

Lionel Jaffrès, le 5 juillet 2018 - http://hydrosed.cearc.fr