Journal / actus

Traverser

3 décembre 2020

J’ai décidé de traverser chaque mur de la ville pour trouver ma trajectoire, ma ligne droite. De maison en immeuble, de la cuisine à la salle de classe, je me glisse dans le sujet. Je rencontre une femme, seule dans sa chambre qui regarde la photo d’un enfant. Elle semble joyeuse. Elle semble triste. Elle parle toute seule dans sa tête bleue. J’ouvre les portes qui entravent mon chemin. Je traverse. Je sonne. Un homme m’ouvre et me regarde. Il me parle d’électricité, puis de retraite, puis de vente de la maison. Ma femme est partie et je dois vendre. Ma femme est partie et on ne peut plus s’entendre. Alors je pars. Et je reprends mon chemin de contrebande. Une femme me regarde, son regard est figé, l’œil souriant. Elle me tend un sous-vêtement. Je l’arrache et chiffonne le papier. Elle reste immobile sur la chaussée. Impassible. Vide de sens. Je marche dans le vent du monde bruyant. Je suis sourd et entre dans la cave odorante. Les outils posés et laissés là. Un vélo sans roue. Une meule à aiguiser. Une image d’avant. Je reste là à arrêter le temps pendant que la roue tourne. Mon corps et le silence. Je replonge dans le bruissement des vents, fais face et hurle à la mer, à la frontière, à qui veut entendre. Je suis à la recherche du désir. J’ai décidé de traverser les murs.

Lionel Jaffrès