« Une voix sort de l’ombre. Elle se demande si quelqu’un l’entend. un corps au sol, comme échoué sur un banc de sable tracé au milieu de la scène, tente de se relever avec force contorsions. Mais une pesanteur invisible semble l’en empêcher. L’homme entre en scène, les vêtements maculés de boue. Il déclame, avec intensité, des témoignages bouleversants. Il sera tour à tour celui qui nettoie les toilettes et auquel personne n’adresse la parole, celle qui ne supporte plus de sortir tant elle se sent dévalorisée. Ou encore cet autre, censé aider ceux qui cherchent un emploi, mais dans l’incapacité de le faire, faute de moyens suffisants. Et puis il y a cette sphère, venue de nulle part. Comme un poids supplémentaire venu s’écraser sur des tranches de vie écorchées. L’homme au sol se débat, se relève, arrive parfois à se jouer de ce poids qui l’accable. Tel un Sisyphe des temps modernes, il pousse vraiment son fardeau, court autour, à l’endroit, à l’envers... La tension monte, la violence est palpable, ponctuée d’éclaircies et de touches d’humour bienvenues. »
Jean-Marc Le Droff
Cette création a été nourrie par la rencontre d’un groupe de volontaires, usagers du RSA, de professionnels, d’élus ; une proposition dans laquelle se côtoient théâtre, musique danse. Les trois acteurs cherchent la justesse des mots, la sensibilité des corps, la couleur des sons au service d’une transposition des idées et des émotions. Ils se réapproprient informations et perceptions pour donner à vivre aux spectateurs une expérience, et observer nos précarités sous différents angles. Nous avons voulu créer cette forme théâtrale kaléidoscopique dans l’espoir de mettre en mouvement les désirs et les volontés. Comme un principe actif.
L’absurde naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde.
Albert Camus
« Nous rencontrons des personnes qui bafouillent. Qui bafouillent devant le guichet. Qui bafouillent parce qu’ils n’ont pas les mots, pas les réponses adaptées à notre monde contemporain. Ces personnes ont bien voulu témoigner de leurs difficultés à se protéger ; des préjugés, de la violence sociale.
Certains ne parviennent pas à répondre aux critères imposés par la société, d’autres les refusent.
Ces personnes sont toutes différentes et nous ressemblent toutes.
Des rencontres comme celles-là sont forcément déterminantes. Elles nous redisent notre fragilité, mettent à mal nos certitudes et nous font prendre conscience que tout changement prend du temps. Et qu’il faut de la patience.
Nous nous sommes mis en colère ensemble contre le cynisme ambiant, contre la tyrannie de la réalité, nous avons ri et nous avons parlé pendant des heures de ce que veut dire travailler, vivre, exister. »
Lionel Jaffrès
« Cette création fait de cette parole libératrice, une parole fondatrice. L’art est passé par là. Car il s’agit bien d’art qui ne copie pas la nature, mais cherche à comprendre le monde et à le faire comprendre. Une passerelle intime se tend alors entre l’âme de ces témoins volontaires, anonymes et celle du spectateur. Nos certitudes sont mises à mal. (...) Le décor, signé Jean-Michel Appriou, est magnifique. Et dans une lumière, créée par Sabine Hulin, qui alterne entre l’ombre et le soleil, Herwann Asseh incarne ce héros tragique. Il est en osmose avec les textes qu’il sublime par une gestuelle sensible, tantôt violente comme ces mots de révolte ou d’abattement, tantôt doux comme l’espoir. »
Dominique Cresson
(IN)CAPABLE ? a été présenté pour la première fois le 16 décembre 2010 au Quartz, scène nationale de Brest (petit théâtre).
Écriture et mise en scène : Lionel Jaffrès
Reprise écriture : Lisa Lacombe et Lionel Jaffrès
Avec
Un acteur : Alain Maillard
Un danseur : Herwann Asseh
Un musicien : Xavier Guillaumin
Lumières : Sabine Hulin
Construction décor : Jean-Michel Appriou
Photos et vidéo : Sébastien Durand
Chargée de production : Laure-Anne Roche
Commande du Conseil Général du Finistère à l’occasion du Forum de l’insertion 2010.
Avec le partenariat de la compagnie Moral Soul, du Quartz, du Centre d’art Passerelle, de la Maison du Théâtre.
Remerciements : toutes les personnes qui ont témoigné et participé, le CLPS, le PLIE, SATO Interim, SEB Action, Culture et liberté, ICEO, la maison de quartier de Bellevue, Pôle emploi à Brest, le garage social à Carhaix, Prométhée à Morlaix, l’AGDE à Lesneven, Hervé Manach et Richard Ferrand.
Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile ni fertile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul, forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux.
Albert Camus