Journal / actus

ÉTRANGES ÉTRANGERS

Jacques Prévert

21 novembre 2016

Ce poème résonne depuis quelques temps, ici au Maquis, un peu plus fort que d’habitude. La voix de Jacques Prévert s’est fait entendre un matin, au cours d’un atelier d’octobre dans la salle blanche. Un moment de partage avec des femmes du quartier voisin, Kérourien, qui ont décidé de témoigner, de réfléchir, de dévoiler ce qu’elles vivent et savent, sur les conséquences des attentats de 2015, sur la religion, sur les réalités de ce quartier populaire.

Ce groupe, auquel se sont joints des maquisard-e-s, se réunit les jeudis au Maquis. Il se nomme « Identités dévoilées ».

Étranges étrangers, c’est aussi le nom que nous avons donné à une agora lors du festival OBLIQUES. Cette causerie publique était dédiée à la question de l’accueil des personnes arrivées récemment en France et ayant fui leur pays. Nous étions nombreux ce jour-là, à réfléchir, ensemble, à nos responsabilités et à ce que nous pouvons faire et comment.

Du 23 novembre au 2 décembre, des personnes en stage d’apprentissage du français au CLPS (centre de formation professionnelle) viennent travailler et créer un parcours théâtral et sensoriel.
Ces personnes nous parlent du Monde à travers l’Ukraine, la Syrie, la Roumanie, les Philippines, la Chine, le Soudan, la Géorgie, l’Azerbaïdjan...
Une restitution est proposée au Maquis le vendredi 2 décembre à 16h et à 18h.

ÉTRANGES ÉTRANGERS, Jacques Prévert

Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel
Hommes de pays loin
Cobayes des colonies
Doux petits musiciens
Soleils adolescents de la porte d’Italie
Boumians de la porte de Saint-Ouen
Apatrides d’Aubervilliers
Brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris
Ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied
Au beau milieu des rues
Tunisiens de Grenelle
Embauchés débauchés
Manœuvres désœuvrés
Polacks du Marais du Temple des Rosiers
Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone
Pêcheurs des Baléares ou du cap Finistère
Rescapés de Franco
Et déportés de France et de Navarre
Pour avoir défendu en souvenir de la vôtre
La liberté des autres.

Esclaves noirs de Fréjus
Tiraillés et parqués
Au bord d’une petite mer
Où peu vous vous baignez
Esclaves noirs de Fréjus
Qui évoquez chaque soir
Dans les locaux disciplinaires
Avec une vieille boîte à cigares
Et quelques bouts de fil de fer
Tous les échos de vos villages
Tous les oiseaux de vos forêts
Et ne venez dans la capitale
Que pour fêter au pas cadencé
La prise de la Bastille le quatorze juillet.

Enfants du Sénégal
Départriés expatriés et naturalisés.
Enfants indochinois
Jongleurs aux innocents couteaux
Qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés
De jolis dragons d’or faits de papier plié
Enfants trop tôt grandis et si vite en allés
Qui dormez aujourd’hui de retour au pays
Le visage dans la terre
Et des hommes incendiaires labourant vos rizières.
On vous a renvoyé
La monnaie de vos papiers dorés
On vous a retourné
Vos petits couteaux dans le dos.

Étranges étrangers

Vous êtes de la ville
Vous êtes de sa vie
Même si mal en vivez
Même si vous en mourez.